16

 

 

— FBI ! Lâchez votre arme ! rugit-il en lui sautant dessus.

Son poignet heurta le béton. Le .38 disparut. Étendue sur le ventre, elle poussait des cris, écrasée sous le corps de l’homme.

— Ne bougez pas ! cria-t-il.

Des portières de voitures claquèrent et elle entendit hurler de l’autre côté de la rue.

— À trois, on va courir vers la voiture. Compris ? Ne vous arrêtez pas. N’hésitez pas, quoi que vous entendiez, d’accord ? Un, deux…

Attendez !

Qu’est-ce qui était en train de se passer, bordel ?

— Trois !

Il la précipita vers l’avant et la poussa dans la Blazer. Il la força à se coucher sur le plancher et grimpa sur le siège du conducteur avant de démarrer en trombe.

La Chevy Blazer sombre. Le FBI. Il lui avait pris son arme.

— Vous pouvez atteindre la portière ? hurla-t-il.

Devait-elle sauter de la voiture lancée à toute vitesse ou fermer la portière ? Qui était cet homme ? Était-ce lui qui avait tiré ? Mais dans ce cas, pourquoi était-elle encore en vie ?

Toujours accroupie sur le plancher, elle tendit la main vers la porte et la tira à elle.

Il tourna les yeux vers elle avant de se retourner promptement vers la route. Il fit une série de virages rudes et conduisit quelques minutes en ligne droite avant de freiner brutalement.

Agenouillée, le cœur battant à tout rompre, elle attendit qu’il bouge. Il serrait toujours fermement le pistolet noir dans sa main. Quand il la vit le regarder, il cala le volant avec son genou pour plonger sa main libre dans la poche de son coupe-vent marin.

— Agent spécial Michael Rowe, FBI.

Il déplia un portefeuille sur le siège à côté d’elle et elle observa la photo d’identité. Cheveux bruns, courts, grisonnant aux tempes. Il avait un cou épais et une mâchoire carrée. Elle leva de nouveau les yeux vers le chauffeur. Sans la sueur sur le visage, c’était le même homme.

Elle regarda le pistolet dans ses mains, toujours pas certaine de pouvoir lui faire confiance.

— Je ne vais pas vous faire de mal, d’accord ? dit-il en lisant dans ses pensées. Il fallait juste que je vous écarte de la ligne de tir.

Il s’était jeté sur elle, entre son corps et les balles.

— On est en sécurité maintenant, dit-il. Vous pouvez vous asseoir.

Ses mains tremblèrent de manière incontrôlable quand elle jeta un dernier coup d’œil à son identité, avant de la lui rendre.

— Merci, dit-il en la rangeant dans sa poche.

Il n’avait toujours pas lâché son arme.

— Asseyez-vous maintenant.

Elle avait les membres en compote, mais elle parvint à s’asseoir et se tourna vers lui, une main sur la poignée de la portière. Ça semblait inutile, étant donné que l’arme de l’homme se trouvait entre eux deux.

— Vous portez d’autres armes ? demanda-t-il.

Elle secoua la tête.

— Je vous crois, lui dit-il, mais je dois quand même vérifier, d’accord ? N’ayez pas peur.

La palpation ne fut pas longue, puisqu’elle ne portait que sa tenue de sport. Son sac avait été abandonné quelque part sur le trottoir.

Où se trouvaient-ils ?

Elle regarda autour d’elle et réalisa qu’il l’avait emmenée sur le parking d’un motel lugubre. Elle reconnut l’endroit où se déroulaient les bals d’étudiants. Il n’avait pas meilleure allure à l’époque, un temps caractérisé par un sacré état d’ébriété hébété ; son état, à cet instant précis, ne valait pas beaucoup mieux, sauf qu’au lieu d’être incohérente et joyeuse, elle était incohérente et pétrifiée.

— Comment vous êtes arrivé là ?

Elle avait la voix rauque.

— Je veux dire là-bas. Juste comme ça.

— On vous a suivie depuis la résidence des Strickland.

Elle ouvrit de grands yeux.

— Vous êtes sous surveillance depuis des semaines, maintenant.

Elle se racla la gorge.

— Est-ce que vous avez… vu la personne qui me tirait dessus ?

Est-ce que vous l’avez tuée ? avait-elle envie de demander, mais elle ne parvint pas à articuler les mots.

— Pas directement, non. Nous étions au bas de la rue quand les coups de feu sont partis. On dirait que le tireur se trouvait dans la ruelle en face de votre bureau. Mon partenaire est parti à sa recherche.

— Merci. De m’avoir sauté dessus.

Il fit une grimace.

Un bruit strident la fit sursauter. L’agent spécial tendit la main vers la radio noire clipée à sa ceinture. Elle ne l’avait pas remarquée jusque-là, ni le holster.

— Rowe, dit-il dans le récepteur.

— Le tireur s’est échappé, dit une voix. Purnell est sur les lieux et la police vient d’arriver. La cible est OK ?

L’agent spécial lui jeta un coup d’œil.

— On dirait, répondit-il.

Feenie baissa les yeux sur ses genoux et ses poignets écorchés. À part ça, elle n’était pas blessée. Mais elle était une cible. Et sans cet agent du FBI, elle serait probablement une cible criblée de balles à l’heure qu’il est.

— Purnell veut s’entretenir avec elle au QG, dans vingt minutes.

— Pigé, répondit l’agent Rowe en rangeant la radio.

Elle s’éclaircit la gorge, qui avait soudain un goût de poussière.

— Le QG ?

Il fit un signe de tête vers l’hôtel miteux.

— Le quartier général, m’dame, tel que vous le voyez.

— Le quartier général de quoi ?

— De notre opération spéciale. On a huit agents qui travaillent ici jour et nuit. Certains d’entre eux, y compris moi, n’ont pas dormi plus de trois heures ces deux derniers jours. Alors ne le prenez pas personnellement si les neurones sont limités, là-dedans.

Il lui adressa un sourire fatigué.

— Vous êtes prête ?

— J’en doute.

— Eh bien, peu importe de toute façon, parce qu’eux, ils sont prêts pour vous.

 

Juarez se gara sur le parking de la marina de Bayside et remarqua un type qui flânait près de la boutique de pêche : cheveux sombres, lunettes de soleil, bedaine de bière cachée sous un coupe-vent offert par une quelconque compagnie de pêche. Il aurait pu s’agir de n’importe qui, s’il n’avait pas porté une casquette de baseball rouge avec les lettres ECST cousues devant. L’Église Catholique de la Sainte-Trinité. Ce n’était pas n’importe quel type, c’était Hector.

Juarez se gara sur sa place habituelle et l’observa dans son rétroviseur central. Hector pivota et se dirigea vers le pick-up et, presque imperceptiblement, fit un signe de croix.

D’accord. Comme chaque fois qu’il avait rendez-vous avec Hector, ceci était légèrement insolite. Mais Juarez connaissait suffisamment l’agent spécial Hector Flores pour savoir que s’il avait ramené son cul de Houston, c’est qu’il avait une bonne raison. Et s’il essayait d’être discret, c’est qu’il avait une putain de bonne raison.

Juarez ajusta son rétroviseur, fit un rapide signe de la tête à Hector et monta sur son bateau, en faisant semblant de ramasser quelque chose. Deux minutes plus tard, il était de retour dans la Silverado et se dirigeait vers l’Église Catholique de la Sainte-Trinité, le terrain de prédilection de leur adolescence, à Hector et lui.

Le temps d’arriver sur le parking de l’église, Juarez avait compris la signification de la visite d’Hector. Juarez était sous surveillance. Comment avait-il pu ne pas s’en rendre compte ? Et pour qu’Hector soit venu jusqu’ici, ça voulait dire qu’il s’agissait d’autre chose qu’une nouvelle recrue en train de l’observer depuis une voiture. Son téléphone, lui aussi, avait dû être compromis.

Juarez entra dans l’église et s’accorda quelques secondes pour laisser ses yeux s’habituer à la fraîche obscurité des lieux. Par habitude, il trempa ses doigts dans l’eau bénite et fit le signe de croix avant de se diriger vers une allée latérale. Il s’arrêta devant une niche sombre dans laquelle était perchée une statue de la Vierge sur un piédestal, entourée de bougies blanches aux flammes vacillantes. Une vieille femme était assise sur un banc près de la statue, soit endormie, soit en train de prier. Juarez se déplaça quelques rangs derrière elle et prit place pour attendre.

Quelques minutes plus tard, Hector se glissa dans le rang et se dirigea droit vers lui. Après un bref silence, Juarez l’entendit tirer l’agenouilloir à lui et s’installer pour prier. Étant donné toutes les conneries qu’ils avaient faites pendant leur enfance, Juarez faillit éclater de rire.

— Qu’est-ce qui t’amène à la maison ? murmura-t-il à Hector.

Du coin de l’œil, Juarez le vit secouer la tête.

— Marco, mon frère, tu es dans une sacrée merde.

— Dis-moi quelque chose que je ne sais pas.

Hector ne dit rien pendant un moment, et Juarez attendit patiemment. Il scannait certainement toute l’église pour s’assurer que personne ne l’avait suivi à l’intérieur. Enfin, il sembla plus à l’aise.

— J’ai entendu dire que tu avais demandé des renseignements sur Armando Ruiz, dit Hector. Tu commences à rendre un tas de gens très nerveux.

— Qu’est-ce que tu sais sur Ruiz ?

— Je sais qu’il est mort.

Juarez réprima un juron. Et voilà comment l’une de ses meilleures pistes s’évanouissait.

— Tu es sûr ?

— Mort en prison. Très probablement par un codétenu relié à la famille Saledo. On dirait que la grande gueule de Ruiz en dérangeait certains.

Alors la mort de Paloma et de son partenaire était bel et bien liée aux Saledo. Ça expliquait pour quel cartel Garland blanchissait l’argent.

Mais ça n’expliquait pas la présence d’Hector à des centaines de kilomètres du bureau de Houston pour lequel il travaillait.

— Marco, mec, tu dois m’écouter. Ta sœur était une fille superbe. Intelligente. Ce qui lui est arrivé est injuste. Je comprends ta colère, mec.

Juarez persifla. Colère ? Il n’avait pas la moindre putain d’idée de ce dont il parlait.

— Arrête les conneries, Hector. Pourquoi tu es là ?

Il poussa un profond soupir.

— Tu dois faire marche arrière, mec. Une putain de marche arrière. Laisse les autorités enquêter, d’accord ?

— Les autorités ?

Juarez serra les dents.

— Le SAPD a enquêté que dalle en plus d’un an. Je suis censé croiser les bras et les laisser s’en occuper ?

— Le bureau est impliqué, aussi, Marco. Depuis le début.

— Ah ouais ? Et tu voudrais me faire croire qu’ils en ont quelque chose à foutre de Paloma ?

— Tu as raison.

Hector baissa la voix quand une vieille dame remonta l’allée et s’agenouilla devant la statue.

— Ils n’ont absolument rien à foutre de Paloma. Mais son partenaire, en revanche, c’est différent.

Juarez fut tellement surpris qu’il faillit bondir. Il tenta de garder une voix basse.

— Ben était un fédéral ?

— Ouais, en couverture, répondit Hector. Il faisait partie de l’opération spéciale qui enquêtait sur les Saledos.

Merde. Ça expliquait beaucoup de choses, comme par exemple pourquoi l’enquête du SAPD n’avait abouti nulle part. Le FBI leur avait probablement mis des bâtons dans les roues pour éviter qu’on prête trop d’attention à leur agent. Le simple fait que le bureau ait infiltré quelqu’un dans la brigade de Paloma confirmait les soupçons de Juarez : quelque chose là-bas était bel et bien en train de pourrir.

— Merde, murmura Juarez.

— Tu l’as dit.

Juarez resta immobile une minute, essayant de tempérer son humeur. D’un côté, il voulait remercier Hector de l’avoir enfin mis au courant. Sa simple présence ici avec lui pouvait certainement lui faire perdre son boulot.

Mais d’un autre côté, il avait envie de le tuer d’avoir retenu de telles informations aussi longtemps.

— Comment va ta mère, mec ? lui demandait maintenant Hector.

Juarez serra les dents.

— Pareil.

Hector se pencha vers lui.

— Ne lui fais pas retraverser tout ça. Tu entends ce que je dis ? Laisse l’opération spéciale s’en occuper, à partir de maintenant. Laisse tomber.

Hector fit de nouveau un signe de croix et se redressa de l’agenouilloir.

— Tu m’entends ?

Juarez regarda la femme près de la statue entourée de bougies. Elle avait de profonds sillons autour des yeux, et lui rappelait sa mère.

— Marco ?

— Je t’entends, mec.

— Bien.

Il lui toucha brièvement l’épaule.

— Prends soin de toi.

Puis il disparut.

 

Feenie trébucha sur le seuil de la chambre du motel. La climatisation était réglée sur un froid polaire et la pièce sentait le café brûlé.

Trois hommes se trouvaient à l’intérieur ; deux parlaient au téléphone et le troisième était assis sur le lit, les jambes croisées, un ordinateur portable posé devant lui. Ils portaient tous des pantalons noirs, des chemises et des cravates, et scrutèrent tous Feenie des yeux quand Rowe l’introduisit dans la pièce et lui proposa une chaise.

— On a de l’eau ? demanda Rowe à l’assemblée.

Quelqu’un alla ouvrir un mini-frigo près de la télévision et lui lança une bouteille en plastique. Rowe la posa devant Feenie avant de disparaître dans la salle de bains.

Feenie dévissa le bouchon et essaya de boire une gorgée, mais ses mains tremblaient toujours et de l’eau dégoulina sur son T-shirt. Rowe réapparut avec une serviette humide et la lui tendit.

— Vous voulez peut-être nettoyer vos égratignures.

— Merci.

Elle essuya le sang et la poussière sur ses coupures. Puis elle releva les yeux vers Rowe. En jean, coupe-vent et espadrilles, il dénotait face à ses collègues. La veste semblait totalement inappropriée pour la chaleur estivale, mais il la portait certainement pour dissimuler son holster.

Rowe s’installa sur une chaise de l’autre côté de la table, regarda sa montre, et griffonna quelques notes sur un bloc-notes jaune. Puis il lui posa quelques questions sur son emploi du temps jusqu’à la fusillade. Avait-elle reçu des coups de téléphone étranges plus tôt dans la journée ? Avait-elle remarqué quelqu’un de suspect en train de rôder dans les parages ? Tout en répondant aux séries de questions, elle joignit les mains et essaya de maîtriser ses tremblements.

Soudain, la porte s’ouvrit à la volée et un jeune homme pénétra dans la pièce, suivi par un type aux cheveux gris et au nez boursouflé. Il portait un costume-cravate sombre, à l’inverse du jeune type qui, lui, était vêtu sur une variation du thème jean-coupe-vent de Rowe. Tout le monde se raidit et les téléphones portables disparurent ; Feenie en conclut que Cheveux Blancs était le responsable.

— Je suis Georges Purnell, FBI.

Il tendit la main.

Elle la serra en songeant que ce serait certainement un nom à retenir.

— Francis Malone.

— Je sais.

Il glissa son sac à main rose devant elle. Puis il tira à lui une chaise au rembourrage orange et prit place à côté de Rowe.

— J’imagine que vous avez rencontré l’agent spécial Rowe ?

Elle ricana.

— Rencontré, oui. Si vous appelez ça une rencontre, le fait de se faire plaquer au sol.

Purnell fronça les sourcils. Il trouvait sa réflexion inappropriée.

— Désolée, bredouilla-t-elle. Je suis un peu… sur les nerfs, là.

Elle tendit de nouveau la main vers la bouteille d’eau, intensément consciente de toutes les paires d’yeux qui convergeaient vers son T-shirt mouillé. Elle changea d’avis à propos de l’eau et croisa les bras.

Purnell se racla la gorge.

— Madame Malone, savez-vous qui vous tirait dessus devant la Gazette ?

— J’espérais plutôt que vous me le diriez.

Purnell s’adossa à sa chaise, désapprouvant manifestement cette réponse.

Rowe se tourna et fit un geste aux quatre agents derrière lui. Ils quittèrent la pièce et Feenie se sentit légèrement plus à l’aise quand ils furent sortis.

— Malheureusement, ce n’est pas le cas, reprit Purnell. Les tirs provenaient d’une ruelle derrière un bâtiment abandonné, et nous n’avons encore trouvé aucun témoin qui aurait vu le suspect. La police passe le quartier au crible en ce moment. Vous êtes sûre de n’avoir aucune idée ?

Génial. Le FBI en savait aussi peu qu’elle. Super nouvelles !

— Eh bien, j’étais suivie par quelqu’un, déclara-t-elle. Ça je le sais. Je ne sais pas par qui, mais il conduisait une…

Oh, Seigneur.

Purnell se pencha en avant.

— Une quoi ?

— Rien. J’ai remarqué une Blazer foncée qui me suivait il y a quelque temps, mais j’imagine que c’était vous.

Purnell jeta un coup d’œil à Rowe, et Feenie entendit presque la réprimande muette.

— Est-ce qu’il s’est enfui en voiture ? demanda Feenie.

— On ne sait pas.

Elle regarda attentivement Purnell, plus frustrée que jamais. Peut-être était-ce le contrecoup, mais sa peur était rapidement en train de se transformer en autre chose. Quelque chose de mordant.

— Vous ne voudriez pas plutôt me dire ce que vous savez ?

L’agent ne sembla pas le moins du monde perturbé.

— Madame Malone, nous sommes une opération spéciale qui mène une enquête sur, entre autres choses, votre ex-mari.

— J’avais compris, merci.

— Nous devons vous poser quelques questions sur lui, dit Purnell.

— Allez-y. Je n’ai rien à cacher.

Ou du moins, c’est ce qu’il lui semblait. Peut-être devait-elle faire appel à un avocat. Mais elle ne connaissait personne qui ne soit pas relié à Josh, sauf le type qu’elle avait engagé pour gérer son divorce. Mais ce dernier s’était avéré être une déception pour le moins coûteuse, et Feenie le soupçonnait toujours d’avoir accepté des dessous-de-table pour saboter son procès. Elle s’en sortirait mieux toute seule.

— Est-ce que vous devez me lire mes droits, ou quelque chose comme ça ?

Elle espérait qu’ils la trouvaient garce et litigieuse.

— Vous n’êtes pas en garde à vue.

— Ah bon ?

— Non. Vous êtes libre de partir quand vous le voulez.

Purnell pencha la tête sur le côté d’un air évaluateur.

— Pas avant que vous répondiez à ma question, dit Feenie. Pourquoi suis-je sous surveillance ?

Purnell ne répondit pas. Rowe déposa le bloc-notes devant lui, retira une paire de lunettes de sa poche et les posa au bout de son nez. Il ressemblait au père de Feenie quand il lisait le journal du dimanche, et elle supposa qu’il avait à peu près le même âge.

— Madame Malone, vous avez été mariée à Josh Garland pendant, quoi, à peu près cinq ans, c’est ça ? demanda Purnell.

— Oui.

— Et depuis quand êtes-vous divorcés ?

— Officiellement ? Environ un an et demi. On était séparés depuis six mois avant ça.

Il sortit un stylo à bille et griffonna quelque chose sur le bloc-notes.

— Pas d’enfants ?

Elle laissa échapper un soupir.

— Non.

— Et vous vivez toujours dans la maison de Pecan Street ? Celle que vous occupiez du temps de votre mariage avec Josh Garland ?

— Oui, répondit-elle.

Elle tourna les yeux vers Rowe, mais il avait un masque impassible sur le visage.

— Ne le prenez pas mal, mais ces questions me semblent un peu élémentaires. Vous ne savez pas déjà tout ça ?

La bouche de Rowe eut un tic nerveux, mais Purnell ignora sa remarque.

— Et vous et votre mari ne vous voyez plus, socialement ? poursuivit Purnell.

— Non.

— Et les affaires ? Est-ce que vos finances sont toujours mêlées ?

— Absolument pas. N’hésitez pas à vérifier si vous ne me croyez pas.

Quelque chose dans son expression lui révéla que c’était déjà fait. C’étaient des enquêteurs. Ils avaient probablement un dossier de trois centimètres d’épaisseur sur elle. Mais elle savait très bien ce qu’ils étaient en train de faire. Elle employait la même technique quand elle devait interviewer quelqu’un pour un article. C’était simple : commencer avec des questions faciles, confortables, où l’on s’assure que la personne en face connaît les réponses. Observer son maniérisme quand elle répond. Ainsi, quand on arrive aux questions essentielles, on sait quand l’autre ment.

— On peut en venir au cœur du sujet, s’il vous plaît ? demanda-t-elle. Vous avez certainement des questions à me poser dont vous ne connaissez pas les réponses.

Une pointe d’irritation passa sur les traits de Purnell.

— D’accord, madame Malone, comment définiriez-vous votre relation avec Marco Juarez ?

— Quel est le rapport avec Josh ? Ou qu’on m’ait tiré dessus ?

— Nous essayons simplement de mieux comprendre les circonstances.

Elle déglutit.

— On est… amis, je crois.

Son regard s’aiguisa.

— Amis. Êtes-vous sentimentalement engagés ?

Est-ce que les parties de jambes en l’air hallucinantes, ça comptait ?

— Heu… oui, je crois.

— D’accord. Donc, étant donné que vous êtes sentimentalement engagée avec M. Juarez, serait-il juste de supposer que vous l’aidez dans son enquête ?

Elle n’aimait pas la direction qu’il prenait.

— Je croyais que vous vouliez me parler de Josh ?

— C’est le cas. Et de Juarez. Pouvez-vous répondre à la question, s’il vous plaît ?

— Oui, je l’aide.

— Est-ce la raison pour laquelle vous étiez chez Cecelia Strickland aujourd’hui ? Pour aider Juarez ?

Feenie se mordit la lèvre.

— Je rendais visite à mon amie.

— Madame Malone, puisque vous êtes sentimentalement engagée avec M. Juarez, je suppose qu’il vous a parlé de son lien personnel avec votre ex-mari.

Son estomac se serra.

— Quel lien personnel ?

— Il ne vous a jamais parlé de Paloma ?

— Paloma Juarez ?

Grands dieux, il était marié. Elle aurait dû le savoir.

— Je ne sais pas grand-chose sur… elle.

Purnell haussa les sourcils, mais elle avait l’impression qu’il n’était pas surpris.

— Vraiment ? Eh bien nous devrions vous éclairer. Paloma Juarez était la sœur de Marco.

La sœur. Merci mon Dieu.

— Il pense que Josh Garland l’a assassinée.

— Quoi ?

— Il y a quelques années, Paloma Juarez travaillait à la brigade des mœurs de San Antonio. Elle enquêtait sur un réseau de contrebande relié à votre ex-mari quand elle a disparu. Elle et un agent fédéral qui travaillait sous couverture. Nous pensons qu’ils ont été enlevés et tués. Ensemble.

Feenie regarda Rowe, puis de nouveau Purnell.

— La sœur de Marco. Assassinée par Josh. C’est bien ce que vous dites ?

Purnell haussa les épaules.

— Nous doutons fortement, en réalité, que Josh Garland ait commis lui-même le meurtre. Nous avons des raisons de penser qu’il a engagé quelqu’un. Et M. Juarez, apparemment, essaie de retrouver cette personne. Il s’agit très vraisemblablement de la même personne qui vous a tiré dessus aujourd’hui.

Elle essaya d’intégrer ce qu’il venait de dire. Marco avait une sœur, et elle était morte. Il ne lui avait pas beaucoup parlé de sa famille, et elle avait essayé de respecter sa vie privée. Maintenant, elle se sentait incroyablement stupide. C’était sa famille à lui qui avait perdu un être cher à cause de Josh. Tout était lié – sa sœur, son enquête, son obsession pour Josh.

Son obsession pour elle.

Elle s’avachit sur sa chaise, trop bouleversée pour parler. Elle s’était fait rouler depuis le début. Une nouvelle fois, la blonde débile.

— Marco Juarez a passé les deux dernières années fixé sur la mort de sa sœur, reprit Purnell. L’enquête officielle n’a rien donné, parce qu’on ne voulait pas révéler l’implication d’un agent fédéral. Alors M. Juarez a pris les choses en main et a commencé à fouiner.

Elle dévisagea Purnell, toujours trop abasourdie pour parler.

— Laissez-moi en venir au fait. Nous pensons que Marco Juarez se sert de vous pour coincer Garland. Mais son objectif premier n’est pas Garland du tout ; c’est le meurtrier de sa sœur.

Cette phrase la fit sortir brutalement de son silence.

— Vous ne pensez pas qu’il veuille Josh ? C’est n’importe quoi. Il a rassemblé des preuves. Il a…

— Nous n’avons pas dit qu’il ne voulait pas Garland. Seulement que Garland n’est pas son unique but. Vous voyez, nous pensons qu’il espère que votre ex-mari lui livre le nom de l’assassin de sa sœur. Juarez veut une vengeance, et probablement un corps. Garland pourrait lui fournir la première, au moins partiellement, mais pas le second.

— Donc… il veut retrouver l’homme qui l’a effectivement assassinée pour savoir ce qui s’est passé et retrouver les restes ?

Son esprit fit un bond en arrière, au jour des funérailles de sa sœur et de sa mère. Elle savait à quel point ces rituels étaient importants.

— Et vous voulez le lui reprocher ?

— Pas vraiment. S’il ne veut rien de plus. Mais il compromet notre enquête, en le faisant.

— Comment ?

Purnell l’étudia avant de se tourner vers Rowe et de lui faire un signe de la tête.

— Nous pensons que Juarez va arriver au point de rupture, dit Rowe. Il devient impatient. Tout ce pour quoi il a travaillé est finalement en train d’aboutir à quelque chose. Nous pensons qu’il pourrait utiliser les informations qu’il a recueillies pour faire chanter Garland et l’obliger à lui livrer le nom de son tueur à gages. Après ça, on ne sait pas ce qu’il fera. Peut-être qu’il tuera Garland. Peut-être qu’il se concentrera d’abord sur le tueur à gages. Malheureusement, s’il élimine l’un ou l’autre, nous serons confrontés à un échec majeur.

— Le tueur à gages est certainement notre meilleur témoin contre Garland, déclara Purnell. Et nous avons besoin de Garland pour relier les points entre les autres suspects sur lesquels nous enquêtons.

Était-ce pour cette raison que Marco était tellement catégorique à propos des autorités, et qu’il refusait d’aller les voir ? Pour une fois, c’était logique. Marco avait son propre plan, et envoyer Josh derrière les barreaux n’était qu’un début.

— D’accord, dit-elle lentement. Alors pourquoi vous n’arrêtez pas tout simplement Josh ? Mettez-le en prison et accusez-le d’un crime ! J’ai une liste complète de possibilités.

Feenie vit le muscle de la mâchoire de Purnell tressauter. Elle avait touché un point sensible.

— On ne peut pas pour l’instant, répondit-il. On a besoin que Garland continue son business comme d’habitude pendant un temps, pour pouvoir remonter la chaîne encore plus haut.

— Ah ouais ? Jusqu’à qui ?

Elle était presque sûre qu’il n’allait pas répondre à ça, mais elle était trop curieuse pour ne pas poser la question.

— Vous avez déjà entendu parler de Manuel Saledo ? demanda Purnell.

— Non. Je devrais ?

— Son nom a fait l’actualité, il y a quelques années, en relation avec une opération appelée Opération Money Trace. Son frère est en prison désormais, mais Manuel est toujours au Mexique. Il semble qu’il ait repris les affaires familiales.

— Je ne le connais pas, répondit Feenie.

Elle devait découvrir si les affaires de Saledo comprenaient l’exploitation de jeunes filles.

— Alors, à propos de cette stratégie de « le laisser continuer son business comme d’habitude », de quel type de business…

— Drogue, trafic d’enfants, d’argent, tout ça, dit Purnell.

Ils étaient au courant pour les filles. C’était la seule chose positive qu’elle avait entendue sortir de sa bouche.

Mais pourquoi ne faisaient-ils rien à ce sujet ? Elle ferma les yeux. C’était tellement compliqué, tellement sordide ! Comment s’était-elle retrouvée au milieu de tout ça ? Elle rouvrit les yeux.

— Pourquoi ne pas simplement dire à Marco de rester en dehors de votre chemin ?

Purnell lui jeta un regard.

— Nous avons nos raisons, madame Malone. Ça fonctionnerait encore mieux si vous pouviez influencer Juarez pour nous. Essayez de le faire un peu lever le pied, pour le moment. Et prévenez-nous s’il prévoit de faire quelque chose d’irréfléchi.

— Vous voulez que je l’espionne pour vous ? Qu’est-ce qui vous fait croire que je vais faire ça ? C’est mon ami.

Ces mots lui donnèrent presque la nausée tant elle était loin de la vérité. Il lui avait menti. Il s’était servi d’elle. Quand bien même, elle ne voulait pas l’espionner. La dernière chose qu’elle voulait, c’était qu’une autre partie se serve d’elle, même s’il s’agissait du FBI.

— Complicité de meurtre, c’est un crime sérieux, madame Malone, dit Purnell.

— C’est une menace ?

— C’est une réalité. Et vous devriez rappeler à votre petit ami que s’il fait quoi que ce soit de stupide, il pourrait bien finir sa vie en prison ou à attendre la peine de mort.

Feenie avala sa salive. Marco n’irait certainement pas assassiner un tueur à gages professionnel. Mais encore une fois, si ce type avait tué sa sœur, qui sait ce dont Juarez serait capable ?

— Et à la lumière des événements d’aujourd’hui, nous vous encourageons à ne pas lui faire confiance, reprit Purnell. Il semble qu’il se sert de vous comme appât pour faire sortir le meurtrier de sa sœur de sa cachette.

— C’est grotesque. Il essaie de me protéger depuis le début.

— Où était-il aujourd’hui ? demanda Purnell.

Feenie commença à répondre, mais se mordit la lèvre.

— Si nos agents n’avaient pas été là, vous auriez certainement été tuée. Probablement par le même homme qui a tué Paloma Juarez.

— À vous entendre on dirait… êtes-vous en train de me dire que vous savez qui c’est ?

Elle n’arriverait pas à le croire.

— On a une bonne idée, oui.

Elle avait envie de lui balancer un coup de poing, en plein dans son gros nez épais.

— Alors arrêtez-le ! Qu’est-ce que vous attendez ?

— Ce n’est pas si simple, répondit Purnell. Le suspect est insaisissable. Nous sommes à sa recherche depuis des mois et nous ne l’avons toujours pas trouvé.

— Eh bien, pourquoi vous n’êtes pas en train de le chercher, là, au lieu de me parler, à moi ? Quelle perte de temps !

— À l’heure où nous parlons, nos agents passent au crible la ruelle d’où il a tiré, dit Rowe.

— Je vous assure que nous prenons tout ça très au sérieux, ajouta Purnell. Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est une opération qui implique plusieurs agences. Nous avons trois années et des milliers d’heures de temps de travail attachées à tout ça. Rien ne nous plairait plus que d’arrêter Garland et ses associés, et de les mettre en prison. Mais on a besoin de votre aide. Et vous avez une position unique : celle d’être proche de Marco Juarez.

Voilà, maintenant, c’était des conneries.

— Je suis désolée de vous décevoir, mais vous êtes tout seuls, répondit Feenie. Tout le monde m’a menti et s’est servi de moi. J’en ai assez.

— Madame Malone…

— Je suis sérieuse !

Elle se leva et s’empara vivement de son sac posé sur la table.

— Je ne veux plus rien avoir à faire avec Josh ou Marco ou rien de tout ça. C’est fini.

— Malheureusement, c’est trop tard pour ça. Vous êtes impliquée, que ça vous plaise ou non.

Purnell repoussa sa chaise et se leva, suivi par Rowe.

— Et vous seriez bien avisée de nous aider à arrêter ces types, madame Malone, ou vous pourriez être leur prochaine victime.